Tout le monde meurt. Alors pourquoi tant d’entre nous ont peur de la mort? Le poète et auteur lyrique Prasoon Joshi cherche des réponses auprès de Sadhguru pour comprendre pourquoi nous voyons la mort comme un procédé sinistre.

Prasoon Joshi: Pourquoi la mort est-elle toujours dépeinte comme sombre et sinistre? Vous l’avez appelé une fois une « blague cosmique », mais la plupart des civilisations y font allusion avec une sorte de pesanteur. Pourquoi y a-t-il une peur de la mort pour la plupart des gens, Sadhguru ?

Sadhguru: Si nous observons comment nous avons perçu et décrit la mort en Inde, vous verrez que la mort n’est pas vue comme sinistre. Le coté sombre de la mort est la perte pour les vivants. Si les gens perdent quelque chose qui leur est précieux- cela pourrait être des objets, cela pourrait être des gens- ils vont craquer/déprimer. Alors c’est la tristesse seulement pour les vivants, mais la mort elle-même a toujours été représentée comme un grand évènement dans cette culture. C’est seulement de nos jours que les Indiens imitent les Occidentaux et marchent avec leur tête baissée quand quelqu’un meurt.

Par-dessus tout, il y a des histoires magnifiques. La légende veut que Shiva ait transformé le Maha Shmashan en sa demeure terrestre et attend là. A chaque fois que quelqu’un meurt, il danse de joie. Quel sorte de pervers est-il pour que lorsque qu’une personne qui est chère meurt, il danse et fasse la fête?

La bulle de savon

Regardons les aspects fondamentaux de la vie. Dans l’expérience de la plupart des êtres humains, la vie est uniquement leur corps, leurs pensées, et leurs émotions. Si on prête attention à la nature de notre existence, on peut clairement voir que le corps et le mental sont tous les deux des accumulations. Au-delà de ces accumulations, il y a la vie. Par analogie- quand vous étiez enfant et que vous faisiez une bulle de savon, la bulle était réelle mais ce qui était à l’intérieur de la bulle était composé de la même atmosphère que ce qui est partout autour. Quand la bulle explosait, une goutte d’eau savonneuse tombait sur le sol, mais le contenu de la bulle s’en allait, vous ne pouviez jamais le voir car cela faisait partie de tout le reste.

C’est la nature de la vie. Le cosmos entier est une masse de vie. Quand la bulle explose et que cet air ou cette vie qui était coincée dans la bulle est libéré, ce qui se passe de l’autre côté est bien plus grand que ce qui peut se passer dans le piège de la physicalité. Shiva rit, chante et danse, parce qu’une vie a été libérée de l’enveloppe mortelle.

La peur de la mort – un conditionnement social

Prasoon Joshi: Un jour, il y a eu un décès dans la famille et j’y suis allé. Il y avait un enfant qui dansait, et il arriva qu’il marcha sur le corps du défunt, comme si c’était une chose qui était simplement là. Les gens le poussèrent mais l’enfant ne comprit pas pourquoi. Est-ce que la mort est un procédé de conditionnement ? Est-ce que cela nous est inculqué, le fait de devoir percevoir la disparition de quelqu’un comme un évènement terrible ou une catastrophe?

Sadhguru: Voir la mort comme une tragédie est physiquement, mentalement, émotionnellement et socialement une réalité- existentiellement, cela ne l’est pas. Un enfant est une progéniture de la vie- il n’est pas encore esclave du conditionnement social. Il pourrait même jouer avec le mort, cela ne serait pas grave. Mais les adultes trouvent que c’est inapproprié, ils vont essayer de conditionner l’enfant. Quand quelqu’un qui leur est très cher meurt, la plupart des gens ressentent que c’est la fin du monde. Mais après un certain temps, ils arrivent à vivre avec.

Les enfants n’ont pas cette conception du temps- ils vivent avec cela plus facilement, parce qu’ils sont moins influencés par ce qui se passe dans la société. Comment les sociétés gèrent la mort est purement fondé sur notre mental et notre aspect émotionnel, ce qui signifie que c’est notre invention, création – nous pourrions le gérer de la façon dont nous le souhaitons en fait. Peut-être que les personnes dites éduquées ont capitulé, mais sinon, si quelqu’un meurt dans ce pays, ils vont jouer des percussions et faire une fête. Je ne suis pas en train de minimiser la perte qu’une personne connait. Mais tous les facteurs mentaux- vos pensées, vos émotions, vos opinions sociales et situations- sont seulement valables jusqu’à un certain niveau. Existentiellement, ce que vous pensez, ce que vous ressentez, ce que votre société pense est absolument sans intérêt. C’est pourquoi on place toujours Shiva, que nous considérons comme le plus élevé,  au firmament de la société. Il est toujours au crématorium.

Cette envelope mortelle

C’est comme ça que tout yogi débute sa vie. Quand j’avais entre 8 et 17 ans, j’ai passé énormément de temps au crématorium- cela m’intriguait tout simplement. Je m’asseyais là-bas. Les gens venaient et mettaient le feu aux corps. Vous savez, le bois de chauffage coûte cher, alors certaines personnes voulaient économiser sur le prix du bois. Je ne sais pas si aucun de vous a déjà été témoin de cela – quand le corps est mis en crémation, la première chose qui brule est le cou, et à moins que le bois n’ait été disposé de manière assez large, le crâne semi-brulé roule par terre. Cela se produit après 3.5h-4 heures. A ce moment-là, aucun membre de la famille n’était resté- ils partaient généralement au bout de 1 à 2 heures. Alors, je ramassais les crânes et les remettais sur le bûcher.

Tout le monde racontait tellement de choses- je voulais voir par moi-même. J’ai passé des jours et des nuits au crématorium, sans même savoir pourquoi. Aujourd’hui, nous envoyons au crématorium ceux qui sont sérieusement sur le chemin spirituel pour qu’ils passent un certain temps là-bas, parce que la mortalité doit être intégrée en vous. Vous devez comprendre la nature essentielle de votre vie. Seulement quand vous réalisez que vous êtes mortel, le besoin de savoir ce qui se passe au-delà va émerger.

Si vous pensez à Dieu, vous n’allez pas devenir spirituel- vous pourriez même en fait devenir très stupide. Vous allez croire que vous pouvez faire n’importe quoi dans votre vie, et qu’il suffira d’une prière, et tout sera réglé. Vous ne faites pas votre travail correctement, mais vous pensez que vous allez avoir de bons résultats. Vous n’étudiez pas pour vos examens, et vous pensez que vous allez être le premier de la classe grâce à votre prière. A partir du moment où vous réalisez que vous êtes mortel, le besoin de savoir ce que tout cela signifie, et ce qui est au-delà, que les gens sont aujourd’hui ici, et disparaissent demain, va devenir une quête naturelle. Ceci est le procédé spirituel.